PARIS (AFP) - L'Erika a-t-il été exploité "à outrance" au premier semestre 1998 jusqu'à ce que son propriétaire soit contraint à des travaux de réparation qui ne seront effectués qu'"a minima" ? La question a été débattue lundi devant le tribunal correctionnel de Paris.Pour la quatrième audience, le président Jean-Baptiste Parlos a commencé d'examiner cette période "riche d'événements" durant laquelle le pétrolier a été plusieurs fois inspecté, à commencer par une visite en profondeur en février d'un inspecteur du Rina, la société de classification italienne.
A cette époque, le bateau est classé par le français Veritas, mais son armateur envisage de passer au Rina, d'où cette "inspection préalable".
L'inspecteur va juger la situation du bateau "désastreuse", selon les enquêteurs, pour qui l'Erika n'en continuera pas moins d'être "exploité à outrance", les emprunts de l'armateur endetté pour l'acquérir étant "remboursés par le fret".
Faux, répond à l'audience le gestionnaire du pétrolier, Antonio Pollara, qui regrette qu'on ait donné "une importance extraordinaire" à ce rapport de l'inspecteur du Rina.
"Je n'étais pas alarmé car j'avais deux inspecteurs à bord. Ils m'avaient expliqué qu'il n'y avait pas de problèmes de structure", raconte-t-il. Il souligne qu'avec l'armateur Giuseppe Savarese, ils étaient prêts de toute façon à faire des travaux puisque l'Erika, qui aurait eu 25 ans en janvier 2000, allait devoir passer sa grande inspection quinquennale obligatoire.
De février à juin 1998, l'Erika va d'ailleurs sillonner les flots et multiplier les escales : Portugal, la Tamise en Grande-Bretagne, Bizerte (Tunisie), Petit-Couronne sur la Seine en France, Rotterdam ou Stavenger (Norvège).
"Les bateaux sont construits et achetés pour naviguer. Un bateau à l'arrêt coûte cher. C'est normal qu'il voyage de façon continue", se défend M. Pollara, soulignant qu'à l'arrêt, les circuits électriques se détériorent.
"Exploiter à outrance est une expression qui ne veut rien dire. Un navire est fait pour naviguer de manière continue. Les moteurs ne s'arrêtent jamais", renchérit l'ancien directeur des affaires juridiques du service trading/shipping de Total, Bertrand Thouillin
Pour Giuseppe Savarese, cet itinéraire tous azimuts de l'Erika montre au contraire que le bateau était sûr, sinon il n'aurait pas été accepté dans tous les ports.
Son périple s'achève cependant à Naples début juin 1998, alors que le certificat de classe de Veritas arrive à échéance. Là, un inspecteur du bureau français n'accorde une prolongation de classe que de 20 jours, à vide, le temps pour l'Erika de rejoindre un chantier naval.
Ce sera celui de Bijela, au Montenegro, en raison du devis, mais aussi parce qu'il est connu pour "ses travaux très soignés de remplacement des éléments en fer", assure M. Pollara.
Son insistance sur ce point n'a d'égale que celle des enquêteurs à souligner la mauvaise qualité de ces réparations réalisées à Bijela en août.
Pour les experts judiciaires, surtout, les tôles changées au Montenegro étaient trop minces et une partie de la rouille constatée sur l'épave datait d'avant ces réparations, preuve que la corrosion n'avait pas été totalement traitée.
L'accusation a une explication, réfutée par les prévenus : l'armateur était trop endetté pour faire des travaux en profondeur et seule une indemnisation après une avarie de chaudière a permis de les financer.
Pour les experts, ces réparations de Bijela seront en tout cas lourdes de conséquences quand le pétrolier affrontera en décembre 1999 une mer déchaînée au large du golfe de Gascogne où il sombrera, provoquant une énorme marée noire.
Mar 20 Fév - 14:35