Dans quelques années, c’est-à-dire bientôt, les petits-enfants d’aujourd’hui, nous interrogeront à l’âge de l’adolescence, sur les années rouges, sur les milliers de victimes — dont pour un grand nombre d’entre eux, leurs grands-pères, autres parents proches, amis... — algériennes, assassinées par des Algériens “leurs compatriotes”.
Nous n’échapperons pas à leurs questions et nous n’avons d’ailleurs aucune raison de les esquiver. Mais que leur répondrons-nous ? Oui, que répondrons-nous, conscients d’ores et déjà que cette page d’histoire ne figurera pas dans leurs manuels scolaires ? Si par miracle elle était tout de même enseignée, elle sera résumée ainsi : “Après une mini-crise de courte durée, les Algériens se sont réconciliés grâce à un homme de “paix” : Abdelaziz Bouteflika.” Déni ou mensonge. Serait-ce nouveau ? Les générations post-indépendance (nous-mêmes, nos enfants) n’ont-elles pas été contraintes au lycée d’ingurgiter des pages d’histoire indigestes dont étaient exclus Abane Ramdane, Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem ? D’autant plus ennuyeuses (les pages d’histoire) qu’elles ne nous privaient pas du droit d’aller chercher la vérité ailleurs, au sein de nos familles, auprès de témoins, ou dans les rares ouvrages existants à l’époque et qui circulaient sous le manteau. Et après 45 (quarante-cinq) ans d’indépendance, la guerre de Libération avec certes ses héros, ses martyrs, mais aussi ses erreurs, ses purges, n’a toujours pas été écrite. L’affaire dite des “faux moudjahidine” qui refait surface bruyamment, nonobstant toutes les tentatives de banalisation ou d’étouffement par le pouvoir, confirme la frilosité (et c’est un euphérisme) de ce dernier à faire la lumière — toute la lumière — sur ce pan de notre histoire commune. Notre fierté, notre honneur, mais qui ne dispensent nullement ses acteurs, ses témoins du devoir de vérité. Pour quelles raisons en serait-il autrement ? La France résistante n’a-t-elle pas connu Vichy et les collaborateurs ? La révolution d’octobre 1917 de Lénine n’a-t-elle pas connu les effroyables goulags et les purges sous le règne de Staline ? Ces brèves remarques ne sont pas une digression au thème initial de cette chronique. Elles sont au contraire destinées à confirmer le principe selon lequel l’islamisme terroriste et sa barbarie ne seront pas écrits puisqu’en réduisant ce terrorisme à la seule “réconciliation”, le premier magistrat du pays entend surtout faire naître une amnésie collective. Un énorme trou béant dont il tirerait avantage puisqu’il demeurerait dans la mémoire collective celui qui a réconcilié les Algériens. Déviation à l’histoire qui d’ores et déjà fait son chemin. Combien sont-ils en effet ces citoyens (ennes) qui veulent se persuader par confort personnel mais aussi par usure (sur laquelle le pouvoir mise grandement) que la paix est de retour et que le pays est parfaitement sécurisé ? Les spectaculaires et mauvais coups tout à fait récents du GSPC ? Ils préfèrent ne pas y penser surtout lorsqu’il se trouve encore un ministre pour leur donner de fausses assurances en déclarant : “Le GSPC va être éradiqué en totalité et ne constitue pas une menace importante” (Ould Kablia Dahou). Sept attentats à la voiture piégée ont été la réponse du GSPC qui ne fait plus de son allégeance à Al-Qaïda un mystère. Alors que dirons-nous donc à ces nombreux petits-enfants d’aujourd’hui, adolescents, puis hommes et femmes de demain, lorsqu’ils nous poseront la première question, à savoir la différence entre le 26 décembre 1991 et le 17 mai 2007 ? Nous leur dirons : le 26 décembre 1991 furent organisées des élections législatives. Il y eut un premier tour avec 188 sièges pour le FIS. Nous fûmes nombreux à demander l’interruption du processus électoral conscients du danger que représentait la prise du pouvoir par le fascisme. Interruption qui fut salutaire pour la République, nonobstant toutes les voix qui s’élevèrent ici et ailleurs pour nous sommer de nous laisser inoculer le virus du sida tout en sachant que l’on n’en guérit jamais. On nous appela les “éradicateurs”. Eux étaient les bons qui trouvèrent normal que les “méchants” que nous étions soient menacés, condamnés à mort, assassinés (eux ou leurs proches) par l’AIS, le FIDA, les GIA composés de criminels prêts à mettre le pays à feu et à sang depuis fort longtemps, élections ou pas élections. Et lorsque défaite, vaincue, l’AIS déposa les armes, notre conviction nous les “méchants” éradiqués et non éradicateurs étaient que les bourreaux allaient être jugés puisque reconnus coupables. En somme, notre conviction — bien naïve au demeurant — fut de croire que le pouvoir assumerait jusqu’au bout l’interruption du processus électoral. Ne voilà-t-il pas que sitôt élu, en 1999, le premier magistrat du pays qualifia cette interruption “de première violence”, accorda la grâce amnistiante à des criminels qui n’avaient jamais été jugés, condamnés en janvier 2000. Et en août 2005, le coup de grâce a été donné avec l’effroyable charte qui blanchit, pardonne et amnistie les émirs sanguinaires et leurs acolytes en décidant l’extinction des poursuites — toutes les poursuites — contre eux. Le 26 décembre 1991, il ne s’est rien passé. Le 16 janvier 1992, date du 2e tour interrompu, n’existe plus. Le Comité de sauvegarde pour l’Algérie ? Un souvenir, un simple souvenir qui a coûté la vie à Abdelhak Benhamouda, Hafid Senhadri, Djilali Belkhenchir ses membres fondateurs et tous trois assassinés par l’islamisme terroriste. Le 2 janvier 1992 ? Un simple souvenir où des milliers d’Algériens marchaient de la place du 1er-Mai à la place des Martyrs pour demander l’interruption du processus électoral. En tête de “ligne” se tenaient côte à côte, le Dr Saïd Sadi, feu Abdelhak Benhamouda, feu Aboubakr Belkaïd, MM. Réda Malek, Ali Haroun. Terminé et oublié. “La vie continue”, repètent les donneurs de leçon. C’est alors que se profile à l’horizon l’échéance électorale du 17 mai 2007. Des élections législatives envisagées par le pouvoir pour marginaliser un peu plus, un peu mieux, les démocrates, en offrant certainement plus de sièges, plus de concessions aux islamistes. Comment s’étonner alors qu’un ancien émir fier de revendiquer son statut de criminel en déclarant qu’il avait assassiné des militaires et qu’il en était fier (voir numéro 2 346 de Jeune Afrique, interview de Madani Mezrag) bomber le torse et déclarer tout aussi fièrement que rien ni personne ne l’empêcherait de participer aux législatives ? Comment s’en étonner alors que blanchi, amnistié et non condamné par un tribunal qui donc pourrait le déchoir de ses droits civiques ? La loi ? Certainement pas, le premier magistrat du pays ? Aucunement. Mais les républicains. Oui les républicains qui sont encore aujourd’hui convaincus comme moi, que celui-ci ou d’autres criminels qui lui ressemblent ne prendront jamais place dans un hémicycle où se sont assis Miloud Bedia (enseignant universitaire) M’hamed Boukhobza, (sociologue), El Hadi Flici (médecin), Hafid Senhadri (cadre supérieur de l’Etat). Tous assassinés par la barbarie terroriste aujourd’hui pardonnée. Ils ne prendront pas la place de feu Abdelhamid Benhadouga (écrivain), menacé par les GIA et “qui était resté dans sa petite maison de Hussein-Dey exposé à tous les dangers... Ce sont ses enfants qui surveillaient les sorties de leur père. Voilà ce que vaut la vie d’un écrivain aujourd’hui” (Waciny Laredj, A. Benhadouga Histoire d’un homme, d’une genèse, Algérie littérature et Action 1996/2001 textes choisis). Ces législatives n’auront nullement pour objectif de renforcer la démocratie car le premier magistrat du pays ne renoncera jamais à sa “dawla islamya”. Le participation du camp républicain permettra- t-elle réellement à celui-ci d’imposer son projet de société en détenant un pouvoir non négligeable : le pouvoir législatif ou aboutira-t-elle surtout à crédibiliser des élections, lesquelles feront la part belle aux islamistes après que le pouvoir leur ait accordé l’absolution en faisant d’eux des partenaires politiques et non plus des “responsables de la tragédie nationale” ? (Termes du décret présidentiel du 14 août 2005). Il ne faudra jamais perdre de vue que les élections du 17 mai 2007 ne ressembleront pas à celles de 1997. A l’époque l’islamisme était défait militairement. Le 17 mai 2007, cette vérité demeurera valable avec tout de même ce bémol important, à savoir que le GSPC donnera d’autres coups. Le 17 mai 2007, l’islamisme n’aura pas été vaincu politiquement puisque les élections du 17 mai 2007 parachèveront la politique de concessions, d’amnistie, mise en œuvre par des textes de lois et accordée aux islamistes terroristes sans réserve aucune. Elle conforteront tous leurs alliés des partis islamistes ou autres partis idéologiquement proches dans leur opinion selon laquelle : 1) “L’interruption du processus électoral était une violence.” (A. Bouteflika. 2). Il faut laisser le temps au temps. Du temps ? Les islamistes en ont. Ils ont même tout le temps. En somme si l’on devait résumer ce que l’on pourrait dire aux adolescents de demain à leur première question : “La différence entre le 26 décembre 1991 et le 17 mai 2007” l’on pourrait dire : aucune, car tel le jeu de l’oie qui ramène les joueurs à la case départ, la politique de réconciliation nous replace avec les élections du 17 mai 2007 face au danger de 1991 en l’aggravant. Oui en l’aggravant car aucune loi aucun décret ne peut détruire les tombes de ceux dont les bourreaux déclarent avoir été assassins et fiers de l’être. Y aurat- il une prise de conscience, un déclic surtout dans le camp des républicains ? Qui oserait l’affirmer ? Une chose est sûre : c’est en tout état de cause ma profonde conviction : il serait vain d’en attendre un souffle d’ouverture, de modernité ou de déverrouillage politique. Le 17 mai 2007 le premier magistrat du pays répartira les quotas en fonction de ses ambitions, de son idéologie islamiste et de sa règle coutumière dont il a fait un mode de gouvernance : diviser pour régner. Le 17 mai 2007 consacrera le parachèvement de la charte pour la “paix”. Sur le papier bien sûr, en théorie, car dans la société, les fractures sont réelles et profondes. Et lorsqu’un professeur de philosophie, Mohamed Benbrika, lance un appel pour “que soient débusqués les semeurs de la fitna” (chiites) en Algérie, ( El Watan, 19 février 2007), ne lui répondons pas qu’il est alarmiste. En 1991 lorsque des jeunes filles de cités universitaires se plaignaient de violences islamistes on leur répondait : “Ce ne sont que des actes isolés. Vous êtes alarmistes.” Prenons donc ses propos au sérieux car la violence islamiste ne s’arrêtera pas avec le dépôt des armes. Elle peut adopter d’autres formes dont “l’existence de chiites à Constantine, Tiaret et Mostaganem”, selon ce professeur d’université. Avec, dit-il, “la bénédiction de l’ambassade d’Iran en Algérie !” Et comment donc ! Ce que l’Iran n’a pas réussi en 1991 il le retente en 2007. Lorsque sunnites et chiites s’affronteront — à Dieu ne plaise — on fera alors appel à M. Benbrika pour lui demander sa documentation, son opinion. Il deviendra l’homme incontournable. Et pourquoi pas aujourd’hui avant demain ? Parce que les élections du 17 mai 2007 ne doivent en aucune façon être polluées par quoi que ce soit. Les affiches avec belles colombes et slogans creux vont bientôt orner les murs sales de la capitale et autres wilayas. Le 17 mai 2007 ? Il ne se passera rien pour la démocratie, les droits de l’homme et les libertés.
partie 1