ATTENTATS • Interrogations sur cette nouvelle extension

L'analyse de Walter Lacqueur, directeur de l'Institut d'études stratégiques de Washington.



Pourquoi lancer une guerre sainte contre les gouvernements musulmans du Maghreb alors qu'il est clair que cette campagne ne jouira pas dans le monde arabe du quart de la popularité qu'ont les attentats contre le Grand Satan ou contre les petits satans secondaires du Moyen-Orient ? L'Algérie a connu presque dix ans d'une guerre civile extrêmement sanglante et cruelle qui a fait près de 200 000 victimes et qui s'est conclue sur une défaite des salafistes. Malgré deux amnisties, une poignée d'activistes a décidé de poursuivre une lutte pourtant impopulaire. Le djihad ne jouit ni en Algérie ni au Maroc d'un soutien populaire substantiel. En Tunisie, le gouvernement est peut-être impopulaire, mais les Tunisiens n'ont certainement aucune envie d'être gouvernés par des islamistes fanatiques, ni de voir leur pays devenir un champ de bataille comme l'était l'Algérie des années 1990.

Pourquoi relancer des attentats en Europe de l'Ouest ? Pourquoi prétendre aujourd'hui à une reconquête musulmane ? L'Espagne a bien retiré ses troupes d'Irak en signe de bonne volonté. Et la France, elle, n'a jamais été mêlée à cette affaire. Les terroristes ont-ils l'intention de saboter les élections à venir en France et en Algérie ? Cela n'aurait pas beaucoup de sens non plus. Leur but est-il de paralyser le tourisme, si essentiel aux économies du Maghreb ? Le succès populaire n'est pas garanti là non plus ; leur action risque d'être aussi contre-productive qu'auparavant en Egypte. Pensent-ils que le sud du Maghreb, avec ses massifs montagneux et ses étendues désertiques, puisse être un cadre d'exception où mener une guerre de guérillas, se cacher facilement et créer des bases d'où lancer des attentats contre les grandes villes ? Ce serait une belle erreur, car le Maroc n'est pas l'Afghanistan : les terroristes perdraient le contact et tout moyen de communication avec le reste des zones habitées du Maghreb, et une fois sortis de leurs terriers, ils seraient extrêmement vulnérables aux attaques aériennes.

La réponse à toutes ces questions, qui tient en quelques mots, est la suivante : les terroristes ne peuvent pas se permettre de rester inactifs pendant très longtemps sans risquer de perdre leur ardeur. Il leur faut se prouver à eux-mêmes – et prouver à l'ensemble de la population – qu'ils sont en mesure d'agir et que l'avenir leur appartient.

Une nouvelle génération est apparue, formée de jeunes de 20 à 25 ans dont la mémoire ne va guère au-delà de 1990. Ils ont été endoctrinés par des prédicateurs fanatiques, des anciens combattants d'Afghanistan, qui leur ont enseigné le combat comme un devoir et une obligation. Ces jeunes sont très nombreux au Maghreb. Le taux de natalité y est très élevé, comme celui du chômage, et une partie des jeunes acquis à la cause du djihad sont issus des classes moyennes. Tous brûlent d'envie de montrer au monde leur statut de héros. Le monde, lui, doit se contenter de rester prudent et de veiller à ce qu'ils n'atteignent pas leur but.

Walter Laqueur
La Vanguardia